lundi 28 avril 2008

De la charité à l’autonomie : le micro crédit selon Muhammed Yunus

Ces dernières semaines, les mauvaises nouvelles sur le front du développement des pays pauvres ne font que s’accumuler et ont fait dire à certain responsables onusiens que les Objectifs du millénaire en matière de développement ne seraient pas atteints. Au-delà de la crise alimentaire actuelle, de nombreux freins expliquent ce retard. Notamment, la question financière est bien souvent évoquée, avec le problème de l’accès aux capitaux dans les pays les plus démunis. Parmi les pistes susceptibles d’entretenir un peu d’espoir, le micro-crédit est fréquemment cité comme un atout important. A condition de comprendre sa philosophie sous-jacente.

A l’origine du concept se trouve la Grameen Bank (http://www.grameen-info.org/), fondée en 1983 et « inventrice » du micro-crédit. Si bien qu’elle a reçue, avec son fondateur Muhammed Yunus, le prix Nobel de la paix en 2006. Comment expliquer le succès d’une telle entreprise, ayant pour objectif de mettre la finance au service des plus pauvres ? Le premier élément de réponse résulte dans la personnalité de Muhammed Yunus, « le banquier des pauvres ». Né en 1940 à Bathua, dans l’actuel Bangladesh, il obtient un diplôme en économie, devient professeur puis entrepreneur et part étudier aux Etats-Unis, d’où il revient en 1972, après la déclaration d’indépendance. Il travaille alors à l’Université de Chittagong, en milieu rural. Choqué par la terrible famine de 1974, il réalise que nombre des problèmes rencontrés par les plus démunis viennent d’un manque d’accès aux capitaux. Il propose alors, sur ses finances personnelles, des « micro-prêts » qui s’avèrent améliorer significativement la situation matérielle des bénéficiaires. Sur cette base, et depuis sa création, la Grameen Bank (« banque des villages ») a accordé pour 5,72 milliards de dollars de prêts, dispose de près de 1400 succursales et travaille dans plus de 50 000 villages à travers le monde.

Depuis, Muhammed Yunus a souhaité donner un essor plus important à son système, et a signé des partenariats significatifs avec de grandes entreprises prêtes à lui accorder leur soutien. Ainsi, a-t-il créé en 2006, avec Danone, la Grameen Danone Foods, qui donne accès, à bas prix, à des yaourts nutritionnels pour les enfants. Il a également mis en place, en février 2008, la Fondation Grameen Crédit Agricole pour la microfinance. Plus récemment encore, le 31 mars 20081, il a fondé avec Veolia la Grameen-Veolia Water Ltd afin de fournir de l’eau potable aux populations les plus pauvres du Bangladesh.2 Ce dernier projet est exemplaire de la philosophie de M. Yunus, qui souhaite allier l’expertise technique des sociétés les plus en pointe à son savoir faire (souvent très local) en matière sociale. Ainsi, l’engagement pris par Veolia a été placé sur le long terme avec la mise en place d’usines de production et de traitement de l’eau dans des zones déshéritées du Bangladesh. Ce que M. Yunus a résumé de la sorte : « l’économie doit s’adapter aux besoins des pauvres et doit tout d’abord répondre à leurs besoins fondamentaux, comme le besoin en eau potable. C’est la vocation de la Grameen-Veolia Water Ltd. et j’attends beaucoup de ce partenariat ».

Etonnamment, la Grameen pratique les même taux d’intérêts que les crédits classiques, et c’est précisément cela qui constitue le « Social business » (www.newzy.fr/developpement-durable/social-business-vers-un-nouveau-capitalisme.html ) comme le définit Muhammed Yunus : responsabiliser les populations, mettre en place un système autonome, pérenne, et économiquement indépendant de toute donation. L’antithèse de la charité. Concrètement, de petites sommes sont prêtées à cinq personnes responsables les unes des autres, pour le remboursement comme pour l’utilisation de l’argent, et qui ne peuvent contracter de nouveaux prêts que si tout le groupe à remboursé : « Ce n'est pas l'argent qui sauve, mais la confiance, la solidarité et la fraternité ». Cette maxime de Muhammed Yunus résume bien sa politique : un prêt à vocation d’intérêt collectif garanti par un contrôle social. Par ailleurs, la banque prône un ensemble de valeurs éthiques et morales, récapitulées sous le terme de « Décisions », et dont la maxime est la suivante : Discipline, Unité, Courage et Travail.
Certes, le recours pressant au contrôle social, ainsi que l’aspect rudimentaire des préceptes moraux inculqués nous paraissent renvoyer à un paternalisme quelque peu éculé. Pourtant, si le refus de l’assistanat économique, additionné à une forme de paternalisme social peuvent heurter les observateurs occidentaux que nous sommes, il semble bien que ce soit de ce paradoxe que le système tire sa force. En effet, la contrepartie de la pression sociale exercée sur les emprunteurs est un taux de remboursement de près de 99 % (de quoi faire pâlir de jalousie les banquiers des pays riches). En instaurant un tel niveau de confiance entre le prêteur et ses débiteurs, la Grameen a réussi un tour de force collatéral : réintégrer les femmes (traditionnellement exclues du système bancaire dans les pays pauvres) dans la vie économique. Aujourd’hui, 96 % des usagers de la Grameen sont d’ailleurs des femmes.

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