jeudi 1 janvier 2009

Erik Orsenna, rappellons-le, est allé tremper ses moustaches dans les ruisseaux les moins clairs, les mares les plus odorantes du monde. Sa nouvelle obsession : l'eau. Après s'être intéressé au coton voilà deux ans, il publie le deuxième épisode de son « petit précis de mondialisation ». Orsenna digresse avec sa verve habituelle. Qui sait qu'un coeur humain est composé à 79 % d'eau ? Qui connaît le secret de la formule H2O ? Qui a lu ce que l'islam et l'hindouisme en disent ?

La leçon fleuve d'Orsenna passe par l'Australie, et son lac George, qui apparaît et disparaît par enchantement, par Singapour et ses réserves secrètes, par le Tchad et ses « vaches flottantes ». Le prof disserte sur les destins comparés du Gange et du Brahmapoutre ; nous apprend que le Bangladesh diminuera un jour de moitié si les barrages sur ces deux géants « tombés » de l'Himalaya voient le jour. A Chongqing, en Chine, il s'interroge : « Quelle est la vraie couleur du fleuve Bleu ? J'ai vu s'y déverser de l'orange, du verdâtre, du rouge vif, de longues traînées sépia, j'ai humé du puant, du franchement suffocant, je me suis cru poursuivi par des bulles monstrueuses, des mousses grisâtres hautes d'un bon mètre. » Evidemment, tout cela se solde par un sermon écologiste et social bien dans l'air du temps. Mieux vaut ne pas attendre de politiquement incorrect de ce traité. Au moins Orsenna aura résisté à l'une des modes de l'époque, celle des buveurs d'eau forcenés : « Il faut plaindre les potomanes » , observe l'auteur, navré du « flux amazonien de tous ces pissous inutiles. »

Le Figaro organise le Mardi 13 Janvier 2009 à 20h à l'Hotel Lutetia (Paris 6ème) avec Erik Orsenna, auteur de « L'avenir de l'eau, petit précis de mondialisation II » (Fayard), un dîner débat sur ce thème, autour des questions : "Dans dix ans, dans vingt ans, aurons-nous assez d'eau? Assez d'eau pour boire? Assez d'eau pour faire pousser des plantes? Assez d'eau pour éviter qu'à toutes les raisons de faire la guerre s'ajoute celle du manque d'eau?" Le débat sera animé par Etienne Montety, directeur du Figaro Littéraire et des pages Débats et Opinions et Sara Yalda, animatrice des Grandes Conférences du Figaro. Inscriptions sur le site du journal.

Nous recommandons par ailleurs la lecture de la discussion très riche entre Orsenna et Jean-Louis Chaussade, PDG de Suez, publiée par Les Echos.



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne peux pas cliquer sur la discussion des Echos

Anonyme a dit…

Oui, le lien a l'air cassé ou ya un bug.

Tiens, je crois que c'est celui là :

Un face-à-face entre erik orsenna et jean-louis chaussade
Le jour où l'eau vaudra plus cher que le diamant
ANNE BAUER ET JULIE CHAUVEAU ET JEAN-MARC VITTORI
C'est une question de vie ou de mort, un enjeu essentiel de ce siècle : l'humanité saura-t-elle préserver la ressource en eau ? Réunis pour « Les Echos », l'écrivain Erik Orsenna et Jean-Louis Chaussade, le directeur général de Suez Environnement, confrontent leurs expériences, rapportées des quatre coins du monde. Un dialogue qui vaut un puissant cri d'alarme.
Erik Orsenna (à gauche) et Jean-Louis Chaussade (à droite) partagent les mêmes inquiétudes sur l'avenir de l'eau.
Il n'y a pas de vie sans eau... et pourtant, l'eau est souvent ignorée, méprisée, gaspillée. Comment l'écrivain et l'homme d'entreprise, qui travaillent chacun à leur manière sur le sujet, expliquent-ils ce paradoxe ?
ERIK ORSENNA. L'eau est une école du partage. Elle s'inscrit dans une logique de démocratie, qui ne plaît évidemment pas à tout le monde. C'est aussi une école du long terme. Il faut planifier et investir, dans des équipements peu visibles. Ces actions sont donc en contradiction avec un calendrier électoral de court terme. Ce sont souvent les entreprises qui disent : « N'oubliez pas le long terme. » Elles ont une obligation de résultats et signent des contrats à trente ans, à l'inverse des politiques. Et quand les politiques s'intéressent à l'eau, ils ne voient souvent que la moitié du problème. L'inauguration d'un robinet ou d'un réseau d'approvisionnement est souvent un bon coup politique. En revanche, celle d'une usine de traitement des eaux usées n'intéresse personne.
JEAN-LOUIS CHAUSSADE. Cette question de l'assainissement est essentielle et n'est pas dissociable de celle de l'eau. Au XVIIIe siècle, à Paris, des ingénieurs rêvaient déjà de faire venir l'eau du lac Léman pour lutter contre les maladies. Toutes les grandes sociétés d'adduction d'eau sont nées après les grandes épidémies du XIXe siècle. Aguas de Barcelona date de 1880, mais l'idée de la créer remonte à 1853, lors de la dernière grande épidémie de choléra. Aguas Argentinas, la compagnie de Buenos Aires, créée également en 1880, mesurait l'efficacité de son action à la baisse du nombre de cas de choléra ou de fièvre jaune.
L'eau doit-elle avoir un prix ?
J.-L. C. Autrefois, dans les cours d'économie, on nous racontait une parabole. L'eau n'était pas chère, mais un jour viendrait où son prix dépasserait celui d'un diamant. C'est le cas, par exemple, de l'eau dans le désert. Nous approchons de ce moment. Le mythe de la gratuité, qui a longtemps dominé, perd de sa force. La réalité s'impose. Dans les pays émergents, plus on est pauvre, plus on paie l'eau cher. Ceux qui vivent dans les quartiers aisés se sont organisés depuis des lustres pour avoir de l'eau courante bon marché. Les pauvres qui vivent en périphérie n'ont pas d'autre choix que de faire appel aux porteurs d'eau, et de la payer ainsi 50 à 100 fois plus cher. Il n'y a d'ailleurs plus grand monde pour réclamer la gratuité de l'eau. Même Calcutta vient d'imposer un prix.

E. O. En la matière, il y a deux idées fausses : l'eau est un cadeau de la nature et elle doit être gratuite. L'eau est un sujet trop vital pour les idéologues. On l'a vu à Cochabamba, en Bolivie, symbole de la lutte contre la « marchandisation de l'eau ». Après un combat épique pour renationaliser le service, ça ne fonctionne pas mieux. La régie publique a triplé les effectifs, les factures d'eau sont demeurées sages, mais la pénurie n'a pas diminué, aux grands bénéfices des vendeurs privés d'eau.
J.-L. C. Dans votre livre, vous écrivez : « A l'illusion de la gratuité, préférons la solidarité. » Oui, la solidarité sera la problématique du XXIe siècle. Elle est nécessaire. Comment s'organisera-t-elle ? Difficile à dire. En Espagne, la Catalogne et Valence n'ont pas réussi à s'entendre sur des transferts d'eau. Pourtant, il existait là-bas au Moyen Age des tribunaux de l'eau qui accordaient des droits de tirage, et celui qui ne les respectait pas était passible d'une condamnation à mort. Il n'y aura pas de solution au problème de l'eau sans solidarité.
Comment organiser cette solidarité? A l'échelon planétaire?
E. O. D'abord, il faut une vue d'ensemble. L'agriculture consomme 70 % de l'eau et la population mondiale va passer de 6 à 9 milliards d'hommes. Avec l'élévation des niveaux de vie, la production agricole devrait donc doubler, et la consommation d'eau augmenter presque autant. Or, à en croire les climatologues, la pluviométrie pourrait diminuer de 15 % d'ici à 2040 dans une région comme le Maghreb. La situation sera vraiment critique. Les chercheurs montrent d'ailleurs que les conflits dus à l'eau, jusqu'à présent assez rares, s'intensifient. Mais je ne crois pas à une gouvernance mondiale, à un G8 ou un G20 de l'eau. Il faut des solutions régionales. Deux régions seront déterminantes. La Méditerranée, où la population va doubler sur les rives du sud. Et l'Inde, où la fonte des glaciers de l'Himalaya risque d'entraîner des pénuries, alors même que l'on découvre le coût en eau de la « révolution verte ».
J.-L. C. Dans bien des régions de la planète, on pompe l'eau des nappes souterraines pour les besoins agricoles sans se soucier du long terme. La situation est effectivement alarmante en Inde. Des milliers de puits ont été forés en quarante ans, faisant dangereusement baisser le niveau des nappes de plusieurs centaines de mètres et obligeant à forer de plus en plus profond. Que feront les Indiens lorsqu'ils seront 1,5 milliard et qu'ils auront épuisé leurs réserves d'eau ?
E. O. Même au niveau local, il faut avoir une vision globale. Au Maroc, dans la plaine de Tadla, des centaines de paysans font des forages illicites à l'aide de petits moteurs alimentés au butane. Pourquoi du butane ? Parce que le gouvernement subventionne cette énergie en espérant ainsi éviter l'abattage des arbres destinés à faire du bois à brûler. Morale : la lutte contre la déforestation aboutit à l'épuisement des nappes phréatiques ! Autre exemple : en Afghanistan, la communauté internationale a renoncé à financer des systèmes d'adduction d'eau chez l'habitant quand elle a compris que le puits est le seul endroit où les femmes peuvent se rendre librement et se rencontrer. L'eau au robinet aurait été pour elles une deuxième burka ! Partout, il faut intégrer l'eau dans une vision culturelle globale de développement.
Au-delà de l'Inde, quelles sont les régions menacées par la pénurie?

J.-L. C. De nombreuses villes qui puisent sans vision de long terme dans leurs nappes phréatiques ou leurs réserves. Il pourrait y avoir des problèmes à Mexico ou Las Vegas. A Pékin, la nappe pourrait être épuisée dans vingt ans.
E. O. La surconsommation d'eau a entraîné la disparition de nombreuses civilisations, par exemple en Mésopotamie, en Amérique centrale ou sur l'île de Pâques. Après mon séjour au Maroc, je me suis demandé combien de temps le pays pourrait tenir. De même que l'Andalousie ou Israël, ces territoires où l'on s'acharne à « faire fleurir le désert ». Israël réunit le meilleur, avec des recherches époustouflantes sur les techniques de l'eau, et le pire, puisqu'elle pompe l'eau du Jourdain pour faire pousser des kiwis et des pamplemousses en plein désert.
S'il pleut moins, si on ne pompe plus dans les nappes, où va-t-on trouver l'eau demain ?
J.-L. C. D'abord, il faut l'économiser, rationaliser son emploi, réduire les gaspillages. Par exemple, en réparant les fuites dans les réseaux d'eau. A Paris, il y a 5 % d'eau perdue dans les fuites des tuyaux. Mais ailleurs, ce taux de pertes peut monter jusqu'à 70 %! A Mexico, la moitié de l'eau disparaît. A New York, le réseau est pitoyable. A Casablanca, les investissements que nous avons réalisés dans les réseaux nous ont fait économiser l'eau nécessaire pour 1 million d'habitants.
E. O. A Calcutta, le réseau d'eau date de l'indépendance de l'Inde, en 1947. Aujourd'hui, plus de 15 millions d'habitants y sont raccordés. Plutôt que de réparer les tuyaux, le gouvernement a construit un barrage très coûteux sur le Gange afin d'augmenter les réserves d'eau ! Drôle de politique que celle qui consiste à augmenter la ressource plutôt que faire des économies.
J.-L. C. Parmi les solutions d'avenir, il y a aussi la réutilisation des eaux usées pour l'agriculture. L'Algérie s'y met. Elle évitera ainsi de devoir arbitrer entre l'irrigation de la plaine de Mitidja au sud d'Alger et la distribution d'eau dans la capitale! Il faudra aussi mener des investissements massifs dans le dessalement de l'eau de mer, une filière qui va connaître encore d'importants progrès technologiques. Au total, avec les économies d'eau, le recyclage et le dessalement, nous avons de quoi fournir de l'eau à tous ceux qui habitent à moins de 100 kilomètres de la mer, soit 40 % de la population mondiale. C'est beaucoup... mais ça ne suffira pas. Nous n'échapperons pas au débat sur nos habitudes alimentaires. Si tous les Chinois buvaient autant de lait et mangeaient autant de viande qu'un Américain, l'équation de l'eau serait aussi insoluble que celle du doublement de la consommation de pétrole.
E. O. Le cas de l'Algérie est passionnant. C'est un pays où les habitants souffrent de coupures d'eau infernales, au point qu'ils disent : « L'eau, c'est la grande peine. » Les paysans manquent eux aussi d'eau pour arroser leurs cultures. Et les eaux usées rejetées dans la mer sont très polluantes. Mais le pouvoir a décidé d'agir. Dans l'eau, la volonté politique est essentielle!
Erik Orsenna, qui vous a le plus marqué dans votre tour du monde de l'eau ?
E. O. Le directeur général de l'eau en Chine, M. Gao Er Kun, un homme calme, puissant et clair, avec une incroyable maîtrise du sujet. Mais, dans tous les pays visités, j'ai été frappé de voir à quel point tous les experts de la question sont passionnés. Source de vie mais aussi de mort, Dr Jekill and Mr Hyde, l'eau est un sujet merveilleux pour un conteur.

Et vous, Jean-Louis Chaussade, quel est le moment de votre carrière qui vous a le plus marqué ?
J.-L. C. Quand nous avons amené l'eau dans les Barrios Carenciados, à Buenos Aires. Notre premier émissaire dans le quartier s'est fait proprement détrousser. Je suis allé négocier directement avec le « chef », flanqué de ses deux pistoleros et de ses deux épouses. Après quoi, tout s'est très bien passé. Parfois, nos ouvriers voyaient une fine équipe désosser une voiture garée à côté de la leur, qui restait intacte... Quand l'eau est enfin arrivée, cela a été une explosion de joie, une fête inoubliable. Un être humain ne devrait jamais être privé d'eau.

Annuaire RSS Fluxenet